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Familles fondatrices de Bromont
Ici Maintenantpoursuit sa série d’articles sur ces familles de pionniers qui ont façonné la jeune histoire bromontoise et
continuent de l’honorer. Après avoir scruté l’histoire des Sanborn et des Brunelle, nous vous présentons la famille Potvin,
commerçants et entrepreneurs établis à Bromont depuis 1927. À vos souvenirs, pour l’avenir.
La famille Potvin : au carrefour de West-Shefford et de Bromont
Par Lily Gaudreault, collaboratrice
On ne peut comprendre tout à fait la ville de Bromont solidarité au village, tout en servant la clientèle. Nul finances et surtout : la première carrière de pierres qui
sans savoir comment est né le Vieux-Village et comment doute que ces qualités ont traversé les générations : est encore exploitée aujourd’hui.
il s’est développé. West-Shefford : tel était, en 1793, le Diane Potvin guide en souriant les visiteurs dans le
nom de ce hameau constitué d’agriculteurs majoritaire- Vieux-Village depuis des années. Mais Diane fait ces De West-Shefford à Bromont inc.
ment anglophones. Ces derniers ont jeté les bases d’un visites guidées à pied, et non au volant d’un camion- L’ambitieux entrepreneur décide, par la suite, d’entrer en
véritable village : ses routes, son activité commerciale, remorque Fargo rose, comme son grand-papa ! politique et est élu maire de West-Shefford en janvier
alimentaire et même industrielle. La rue principale du 1965. Il faut dire que depuis 1964, un fort vent de
village fut un véritable vivier de projets commerciaux, Des commerces tous azimuts changement souffle sur West-Shefford. Les frères Roland
éducatifs et sociaux des débuts de la colonisation jus- Toute la famille travaillait à la COOP et, toujours dans et Germain Désourdy et leurs partenaires d’affaires
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qu’au 20 siècle. C’est devenu la rue Shefford, qui garde les années 1940, Alfred et ses fils Martial et Jean-Marc formulent le projet de créer la ville du 20 siècle 1 , cité de
loisirs en pleine montagne en dehors du village de
West-Shefford. À cette fin, ils mettent sur pied la compa-
gnie Bromont inc. Une question surgit rapidement :
comment créer une ville sans un cœur villageois ? La
solution d’une fusion de West-Shefford à la nouvelle ville
est amenée publiquement. Des membres du conseil
municipal d’alors ainsi que des citoyens, principalement
les familles d’origine irlandaise et francophone, s’oppo-
sent à cette idée. Ils craignent l’augmentation des coûts
de gestion de la ville et par conséquent des taxes muni-
cipales, l’accroissement du tourisme et la perte du
cachet de leur village. D’après Diane Potvin, son père
croyait néanmoins à ce projet pour sa vision avant-
gardiste et la prospérité qu’il apporterait. Il y crut tant et
si bien qu’il finit par en convaincre sa population. La
fusion de West-Shefford à la ville de Bromont fut finale-
ment approuvée. Les opposants avaient-ils raison ou
tort ? Certaines de leurs craintes se sont réalisées, mais
sont-elles dues à la fusion ou à des phénomènes urbains
et économiques inévitables ? L’histoire ne peut malheu-
reusement pas nous le dire. Si l’on interrogeait les
citoyens aujourd’hui, il y a fort à parier qu’ils nourrissent
les mêmes inquiétudes quant au développement rapide
Les frères Martial et Jean-Marc Potvin à la COOP, rue Shefford. de leur ville. Peut-on voir grand, tout en restant petit ?
On peut retenir certains enseignements du passé, ne
l’oublions pas. Mais, dans les années 1960, tous les
l’empreinte de ses premiers habitants, de leur religion, (le père de Diane) ont établi d’autres commerces qu’ils espoirs étaient permis.
de leurs nombreux métiers et de leur mode de vie. exploitaient ensemble. Avec un brin d’éclectisme, ils ont
Certains citoyens ont participé de plus d’une façon à fait l’acquisition d’un garage au coin des rues Compton En remettant les clés du village à la Ville de Bromont en
l’essor du village. C’est le cas de la famille Potvin, dont et Shefford, puis d’une salle de danse très fréquentée 1966, Jean-Marc Potvin devient donc le dernier maire de
Diane Potvin se fait la porte-parole. par la population locale. Mais quelque temps après, au West-Shefford, sans cesser pour autant d’être actif dans
grand dam des danseurs, ce dancing a été converti en la nouvelle ville. Il participera à presque tous les projets
Commerce, construction, politique : quel domaine cette meunerie. « Un de mes plus beaux souvenirs d’enfance d’envergure, dont le Ciné-Parc et le motel Bromont,
famille n’a-t-elle pas influencé en près d’un siècle de pré- est celui d’accompagner mon grand-papa dans la meu- future Auberge Bromont. La piste de danse et les allées
sence à Bromont ? C’est en 1927 qu’Alfred Potvin décide nerie, de le voir faire ses mélanges et de sentir cette de quilles sont maintenant disparues. Le grain est moulu
de s’établir à West-Shefford avec sa femme Rose-Alba odeur de grains frais, » mentionne Diane. Le marguiller ailleurs et le train n’arrête plus en gare. Alors que
Plante et ses quatre enfants Martial, Marie-Claire, Jean- Alfred avait-il le don d’ubiquité ? Ou peut-être que ses reste-t-il de l’héritage de la famille Potvin ? Quelques
Marc et Pierrette. La maison, où a grandi et vécu cette fils le secondaient très efficacement ? Il devient en plus membres habitent encore au village ou à proximité,
petite famille, existe toujours au 694, rue Shefford. chef de gare. À l’époque, en effet, se trouvait une petite mais seule Diane y est née et y réside encore. En est-elle
Né à Saxby Corner, soit au bout du chemin Saxby, à gare, là où est située l’actuelle école primaire La triste ? « Je ne me sens pas nostalgique. Je ressens plutôt
l’intersection de la route 112, Alfred a d’abord travaillé à Chantignolle. C’est Alfred — et parfois la petite Diane — de la gratitude envers ces gens qui ont vécu avec peu de
l’ancienne beurrerie de Saxby Corner, mais il ne tarde qui signifiait l’arrêt au conducteur du train. « Il me pre- moyens dans une période difficile, » répond-elle. Alfred
pas à fonder en 1940 son propre commerce sur la rue nait dans ses bras et me permettait de poser le drapeau et Jean-Marc seraient-ils fiers de Bromont aujourd’hui ?
Shefford, près de l’actuelle Caisse populaire. Il s’agit de la dans son socle. J’avais l’impression d’avoir moi-même « Certainement, répond Diane, c’est une ville qui corres-
COOP, un magasin général où l’on vend de tout : des bas fait arrêter le train, » se rappelle Diane. Jean-Marc Potvin, pond à leurs valeurs et où règnent l’esprit d’entreprise,
de laine aux conserves en passant par le grain. Saviez- fils aîné d’Alfred, a lui aussi la fibre entrepreneuriale et l’amour du travail et l’engagement personnel envers la
vous que la pulpe de betterave est fortement appréciée poursuit sur la lancée de son père. Sa petite famille : sa communauté. » À nous de préserver ces précieuses qua-
des vaches laitières ? Alfred Potvin le savait, lui, et en femme Cécile Ménard et ses deux filles Diane et Denise, lités dans le développement de notre ville si innovante.
fournissait allégrement aux éleveurs de la région pour loge même dans un appartement situé en haut du
favoriser la production de leur troupeau. Selon Diane garage, puis dans une maison moderne au coin des
Potvin, petite-fille de Freddie, comme on le surnommait rues de Gaspé et Shefford. Jean-Marc devient ensuite 1 Bromont, cinquante années de réalisations, Gendron, M.,
Société d’histoire de la Haute-Yamaska.
affectueusement, Alfred charmait la clientèle par son concessionnaire Chrysler. Touche-à-tout comme Alfred,
écoute et son entregent. Il encourageait l’entraide et la Jean-Marc ouvre une salle de quilles, un bureau de
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Ici Maintenant février/mars 2021