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Sécheresse et nappe phréatique
François Gay, géologue, formateur et écologiste
Je ne vous parlerai pas des événe- elles ne sont pas inépuisables. En Une contribution à la sécheresse
ments climatiques majeurs qui effet, si l’on pompe l’eau de ces Revenons au schéma de départ
ont marqué la moitié de l’année nappes, il faut s’assurer que la d’une nappe phréatique. Lors-
2023, du jamais-vu de mémoire nature, la pluviosité locale et qu’on fait baisser le niveau de
de personnes et de scientifi- l’aspect des sols permettent de cette dernière, celui des lacs, des
ques… La semaine la plus chau- recharger (alimenter) celles-ci. marécages et des rivières baisse
de de la planète : en juin 2023. Sinon, le niveau va baisser, et c’est aussi. Les sols et leur végétation
Ces situations ont largement été ce qui se passe actuellement. Ces vont alors devoir survivre avec un
couvertes par les médias. Par temps-ci, on entend souvent que déficit d’humidité, ce qui à long
contre, je n’oublie pas les victimes le niveau des nappes est de plus terme, si on continue à pomper,
et la destruction de maisons, en plus bas, que ce soit en peut contribuer à un début de
de forêts, d’infrastructures et de Californie ou dans des municipali- sécheresse locale ou régionale ou
biens. tés qui doivent limiter les permis encore, à une surchauffe du sol.
de construction.
On a abusé des nappes phréa- Le développement des cultures Source : Association des agriculteurs bretons.
tiques C’est malheureusement un phé- extensives a entrainé le nivèle-
Pour cette édition, je vous propo- nomène mondial, car on a ment des zones humides et des climat relié aux GES. Cependant, brement». Il fallait alors suppri-
se une réflexion et une analyse beaucoup abusé de la carte de terrains, souvent comblés, le les méthodes agricoles relative- mer les haies et agrandir la taille
sur les sécheresses et les fameu- crédit de l’eau en puisant un peu défrichement des forêts, la sup- ment récentes à l’échelle de la des champs afin d’améliorer les
ses nappes phréatiques dont on aveuglément dans ces aquifères pression des haies d’arbres afin planète, ainsi que le déboise- rendements. Ce qui a été fait.
commence à parler. C’est une comme s’ils étaient illimités. À d’agrandir les surfaces et un ment, ont certainement contri- Récemment, lors de fortes pluies,
drainage excessif. L’eau drainée bué au réchauffement des sols et un agriculteur breton a vu ses
n’a pas le temps de recharger la à l’épuisement des ressources terres inondées et une partie
nappe et va alimenter les rivières d’eau dans plusieurs régions. du sol emportée en l’absence
en emportant avec elle des Des chercheurs britanniques ont d’arbres pour le retenir.
particules du sol. démontré qu’une forêt peut
générer de la pluie, en plus de Actuellement, on souhaite reve-
Toutes ces actions diminuent constituer des zones de fraicheur nir aux bocages en faisant de
l’humidité des sols et la capacité et des puits de carbone. l’agroforesterie.
de rétention d’eau. De plus, avec
le temps, ces terres perdent des Revenons au cycle de l’eau dans L’agroforesterie fera l’objet d’un
éléments organiques et ont un milieu naturel non perturbé autre article.
tendance à chauffer plus rapide- par l’activité humaine et dont le
ment. Elles constituent des zones couvert végétal est suffisant. Revoir nos façons de consom-
chaudes, plus chaudes qu’avant Lorsqu’il pleut, les gouttes de mer et de développer nos villes
ce nouveau type d’agriculture. pluie tombent sur la végétation et l’agriculture
Elles s’ajoutent aux nombreux ou sur un sol riche en matières En ce qui concerne nos nappes
points chauds que constituent organiques et frais, puis elles se phréatiques et les ressources
les villes, les routes et toutes les transforment en fines goutte- d’eau, il faudra absolument chan-
Source : le BRGM France surfaces de béton. Tout ceci lettes, ce qui facilite la pénétra- ger nos façons de vivre au plan
contribue au réchauffement des tion de l’eau dans la terre et la planétaire (l’agronome Lester
situation que les propriétaires de cause de la sécheresse, on doit sols et de la Terre, car il y a, sur descente vers la nappe avec un Brown sonnait déjà l’alerte en
puits artésiens surveillent de près. continuer à pomper comme c’est tous les continents, des millions minimum d’érosion et de pertes 2001).
le cas de la Californie qui veut de kilomètres carrés de terres dues à l’évaporation. La nappe
Le schéma ci-dessus représente continuer à être le jardin du conti- agricoles exposées de la sorte. Et se retrouve alimentée normale- Diminuer les cultures extensives
une image classique de ce qu’est nent. Dans cet État on en est c’est sans parler des vents qui, ment. en des lieux où il faut irriguer,
une nappe phréatique. Précisons arrivé au paradoxe suivant : des sans barrières d’arbres, assèchent favoriser les cultures locales et les
que dans la nature, il y a de nom- milliers d’amandiers sont irrigués le tout et enlèvent de fines parti- Par contre, comme je l’ai men- fruits de saison qui n’ont pas
breux modèles. Ce qui est impor- au goutte-à-goutte et l’eau est cules de terre. tionné plus haut, si le milieu a été besoin d’arrosage et avoir un
tant de savoir est que dans les pompée dans la nappe qui a radicalement transformé et que meilleur contrôle sur le pompage
zones terrestres où il pleut, on baissé à un point tel que les puits Revoir les méthodes d’agricul- l’on a affaire à d’immenses sec- de l’eau dans les aquifères. C’est
retrouve souvent des nappes des villages locaux sont à sec. ture : le cycle de l’eau teurs pauvres en matières orga- un gros défi financier et politique.
d’eau souterraines qui se situent Et ce n’est qu’un exemple. Donc, au lieu de blâmer la séche- niques, la pluie va frapper direc-
non loin du niveau des lacs, resse et la baisse du niveau des tement une surface chaude, Est-ce un bon choix écologique
rivières et marécages environ- Les industries et les villes sont nappes, il faudrait plutôt revoir souvent durcie, et les gouttes de produire du maïs avec irriga-
nants. aussi de grandes consomma- les méthodes agricoles, surtout vont rebondir. Une partie va tion pour nourrir des animaux ou
trices d’eau de rivières et de celles qui exigent, en plus, un s’évaporer rapidement et dans le fabriquer du biocarburant ?
Ces nappes ont mis des siècles nappes. De plus, ces secteurs arrosage régulier. En effet, on a cas de fortes pluies, une autre
pour s’installer et maintenir indi- couverts de béton et d’asphalte cru et on croit encore que l’on partie va s’écouler en surface en Est-ce que le lait d’amandes est
rectement la vie en surface en constituent d’autres points chauds : peut faire pousser n’importe quoi emportant de la matière minérale plus écologique que celui de la
conservant un niveau d’humidité lors des pluies, l’eau ruisselle rapi- n’importe où dans la mesure vers les fossés et les rivières. Une ferme voisine ?
favorable à la croissance de végé- dement sur ces surfaces pour où on peut arroser les cultures faible portion rejoindra donc la
tation diverse, selon les latitudes. alimenter les égouts. L’eau accu- en puisant dans les nappes ou nappe. Je simplifie un peu, mais Peut-on se passer des fraises de
mulée se rendra rapidement aux en déviant des rivières. Ainsi, on comprend ainsi pourquoi les Californie ou du Mexique en
Elles ont été – et sont encore – rivières, s’il n’y a pas d’inondation. l’exemple de la Californie est un aquifères s’appauvrissent en eau hiver ?
une précieuse source d’eau pota- Malheureusement, peu de cette modèle à ne pas imiter. et que la sécheresse s’installe.
ble ou d’irrigation. Cependant, eau ira alimenter la nappe phréa- L’arrosage artificiel suffira aux Les défis sont immenses, car
comme toute richesse naturelle, tique sous-jacente. Certes, il y a un réchauffement du plantes, mais appauvrira les l’agroalimentaire est devenu
nappes. une industrie qui vise surtout la
productivité, la rentabilité à court
L’adaptation aux changements terme et la conquête de marchés
climatiques plutôt que de nourrir la popula-
C’est l’expression à la mode et tion locale. Malheureusement,
l’agriculture est une des pre- ce sont les grosses entreprises
mières concernées si l’on veut qui ont le contrôle des méthodes
conserver nos terres arables et de culture et de l’eau du sous-
garder l’humidité nécessaire tout sol…
en diminuant l’arrosage ou l’irri-
gation. Est-ce que nos élus auront le
courage de faire évoluer les
Dans les années 60, la Bretagne, mentalités ?
une région française de bocages
avec de nombreuses haies d’ar- MAIS AURONS-NOUS LE CHOIX ?
bres protecteurs contre les vents
et conservateurs d’humidité, les Bonne fin d’été, et n’oubliez pas
gouvernements avaient imposé de profiter des produits locaux !
ce qu’ils ont appelé le «remem- François Gay
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Ici Maintenant août/septembre 2023

