Page 25 - ici Mnt DÉC 2022 FINAL

Un conte de Noël

Des petits souliers sous la lune

Isabelle Marissal, collaboratrice

_ Bon… Bonté divine ! la fée. Je n’ai pas pu m’arrêter et je suis arrivé la face la premiè- Mes doigts ont fait une première oreille de lapin avec l’un des
Olivier a tout juste le temps de se rattraper au rétroviseur de la re contre elle ! Elle a trouvé ça très drôle et m’a aidé à me lacets. Ensuite, j’ai bien tenu la première oreille de lapin et j’ai
voiture garée dans l’entrée. Sous la clarté fantomatique de la dépêtrer des voiles de sa belle robe de satin argenté pour me fait une deuxième oreille…
lune, la chaussée est luisante de glace. relever. Je pense que je devais être tout rouge et ça l’a fait rire
Avec précaution, il poursuit son avancée précaire. encore. Tout doucement, alors qu’elle secouait les quelques _ Prends ton temps, Olivier. Tu fais quoi maintenant, avec les
aiguilles de pin qui piquetaient sa robe à cause de moi, elle m’a deux oreilles de lapin ?
Enfin, il atteint le perron et déclenche le détecteur de mouve- fait asseoir sur une souche à côté d’elle. _ Je fais un nœud ?
ment en posant le pied sur la deuxième marche. La lumière arti-
ficielle prend le premier rôle. L’ambiance bleutée de la lune Au début, la fée (elle te ressemblait un peu, Zabo, la fée, quand La fée m’a fait un battement de cils pour m’encourager et moi
recule et nimbe les arbres gainés de glace du petit boisé tout j’y pense…)… Au début, donc, la fée ne faisait que me regarder j’ai fait une belle boucle avec les deux oreilles de lapin. Je venais
proche. avec des yeux très doux. Elle ne me parlait pas, mais je l’enten- d’attacher mon petit soulier pour la première fois sans paniquer
dais fredonner une mélodie… Une mélodie… Ben, une mélo- ! Et tu sais quoi, Zabo ? J’ai recommencé tout de suite après
Olivier aperçoit la silhouette de Zabo qui ouvre la porte pour die de fée, tiens. Après, elle m’a salué : « Bonsoir Olivier. Cela fait avec le deuxième soulier !! Je venais de faire ça dans une forêt
l’accueillir : « Allo, ma grande sœur ! » bien longtemps que j’attends ce moment de te rencontrer. » magique en jouant avec une fée et un lapin !! Tu peux croire
ça !?
************** Moi, je ne savais pas quoi lui répondre… Elle était si belle, si
douce et il y avait tellement de magie que je lui ai dit avec mes Et mon histoire n’est pas finie.
La porte grande ouverte, Zabo scrute l’obscurité. yeux que je la trouvais belle et… douce. C’est tout. Et ça a dû lui
_ Oh ! C’est encore le vent qui a secoué les branches et déclen- faire plaisir parce qu’elle m’a répondu « Merci » avec un batte- Je venais à peine d’attacher mes petits souliers avec les deux
ché le détecteur de mouvement… ment de cils. plus belles boucles de la forêt, que j’ai vu la fée se relever et se
tourner vers les deux plus belles créatures que j’ai vues de ma
Olivier se rappelle alors qu’il arpente dorénavant le pays de ses Ensuite, comme par magie, elle a sorti des petits souliers des vie ! Dans la clairière, derrière une biche au pelage doré s’avan-
souvenirs en format éthéré. Zabo ne peut le voir… Sa grande plis de sa robe. Tu te rappelles, Zabo, de ma peur quand je çait un jeune cerf tout blanc au petit panache gainé de velours.
sœur est déjà rentrée, de toute manière. Mais elle est toujours voyais des souliers que je devrais attacher, quand j’étais petit,
derrière la vitre de la porte d’entrée, à scruter la nuit, alors que avant d’aller à l’école ? Et bien, ces souliers-là ne me faisaient Arrivés à quelques pas de la fée, la biche et son faon l’ont saluée
le détecteur de mouvement s’est éteint. pas peur du tout. Ils étaient tellement beaux, en plus ! Blancs d’un gracieux mouvement de tête. Le jeune cerf s’est alors tour-
_ Reste, ma grande sœur. Je vais te raconter ma dernière aven- nacrés, un peu comme la belle robe de la fée, ils brillaient dou- né vers moi et a fait encore quelques pas. À mon tour, de ses
ture. cement sous la lumière de la lune. Les lacets argentés me don- petits bois, il m’a salué. Et tu sais ce qu’il m’a dit, ensuite, Zabo ?
_ … naient même le goût de les attacher !
_ Je reviens tout juste d’une magnifique virée dans la forêt. La Il m’a dit que lui et moi étions pareils. PAREILS !! Il m’a dit que
lune éclairait le paysage et les arbres étincelaient dans leur Alors, tu sais quoi, Zabo ? nous étions pareils, parce que différents de nos semblables. Et
livrée de cristal, comme ce soir. L’air tintait de notes cristallines. La fée a mis un genou dans la mousse devant moi et elle a glissé que cette différence était précieuse et non un défaut ! Mais, ça,
Tu me croiras pas, Zabo ! J’avais dix ans !! Je me promenais dans mes petits pieds dans les petits souliers. Ensuite, avec un sou- Zabo, ma grande sœur. Tu le savais déjà, n’est-ce pas ?
une forêt d’arbres en cristal qui vibraient d’une musique céles- rire, elle m’a fait un clin d’œil en disant : « Tu es prêt Olivier ? »
te qui m’entraînait dans une nuit magique et sans peur. Et Là, Zabo, j’ai quand même eu un petit frisson. **************
j’avais dix ans ! J’étais redevenu un petit garçon !!
Mais la fée a pris doucement mes mains dans les siennes et a Rêveuse, Zabo a le regard perdu. À travers la porte vitrée, il lui
Tu te souviens comme j’avais de la difficulté à attacher mes sou- glissé les lacets argentés entre mes doigts en disant : « Nous semble entretenir une conversation avec un fantôme. Un gen-
liers quand j’étais petit ? Et bien là, quand je suis entrée dans la sommes dans une forêt magique, ici, Olivier. Il y a toutes sortes til fantôme.
forêt, j’étais nu-pied. Les arbres étaient recouverts de cristal, de créatures qui ne demandent qu’à jouer avec toi. Imagine
mais je marchais dans un sentier de mousse toute douce et que les lacets de tes souliers soient les oreilles d’un lapin qui te Un souvenir lui revient. Il y a maintenant bien des années. Ce
d’un beau vert émeraude. Je marchais dans le sentier sans m’in- les prête pour apprendre à les nouer en une jolie boucle. Tu Noël sous la pluie verglaçante, alors que son frère Olivier avait
quiéter de ma destination. veux jouer ? » failli tomber sur la glace avant le réveillon…

Au bout d’un moment, je suis arrivé dans une clairière en forme Mes yeux ont répondu « oui ». Mes doigts ont fait une première Mais Olivier était parti pour toujours et ne viendrait pas à Noël.
de cœur. Peux-tu imaginer ça, Zabo ? Une clairière en forme de oreille de lapin avec l’un des lacets. Je n’avais pas vraiment peur
cœur ! Et comme je regardais tout autour de moi en ouvrant de ne pas y arriver, mais le frisson était encore là et il me décon- Tiens ! Le détecteur de mouvement s’est rallumé.
grand mes yeux et ma bouche d’étonnement, une sorte de fée centrait. Mes doigts ont voulu aller trop vite et le lapin a failli se Et, dans la neige, des traces de tout petits pas qui semblent
flottait sur la pointe du cœur en me faisant signe d’approcher. sauver… Mais la fée a fait les gros yeux au frisson et il s’est tenu gambader vers la forêt toute proche, alors que le détecteur de
Mes petits pieds se sont mis à courir et j’ai foncé tout droit sur tranquille. J’ai recommencé. mouvement s’éteint à nouveau…

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