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L’artiste Mari Mari ou l’art de créer sa vie

Environnement d’Ici
Lily Gaudreault, collaboratrice
Dans la dernière édition d’Ici Maintenant, nous avons amorcé une série de portraits de trois personnes qui ont su
réinventer leur vie par un virage radical. Dans le premier article de la série, nous avons rencontré le philosophe
Gabriel Baril. Dans le deuxième, nous vous présentons l’auteure et artiste en arts visuels Mari Mari, résidante de
Shefford, près de Bromont.
Collage de Mari Mari : explosion de couleurs et finesse du détail
Mari Mari : son pseudonyme sonne faire des mathématiques et des de six expositions individuelles ou l’autre. Elle a déjà amorcé l’écriture Comme tout artiste, il lui arrive
Nature d’Ici
comme un appel insistant, comme sciences. Par conformisme avec collectives à Toulouse, à Montréal, d’un deuxième roman, tout en encore de douter. Elle se concentre
une incantation. On la nomme son milieu et peut-être aussi parce en Estrie à l’Espace Blanc de maîtrisant des logiciels de dessin alors sur sa recherche du beau et
deux fois, parce qu’elle est un être qu’elle goûte à la réussite scolaire, Bromont et à la galerie Art Plus de par ordinateur pour démarrer de sur l’importance du moment
multiple, simple et complexe à la elle choisit la voie des sciences de Sutton, avant un bref passage chez futurs projets. présent. La finalité, le résultat lui
fois. Pour bien comprendre cette la santé et y canalise toute son Artêria. Ses œuvres, de grands for- importent beaucoup moins qu’au-
artiste et sa personnalité, il n’y a énergie. mats pour la plupart, mais aussi Vivre et revivre paravant, car « on n’arrête jamais
rien de mieux que d’observer des miniatures de forme carrée et Cette effervescence révèle un de grandir, de s’ouvrir à d’autres
attentivement une de ses œuvres Elle explique son cheminement quelques objets de design, sont appétit de vivre qui est résolument possibilités. » Trop occupée à vivre,
Activités d’Ici
dans son entièreté, et ensuite de avec la rigueur de la scientifique exécutées à l’aquarelle, à l’acry- insatiable. « Je n’aurai pas assez Mari Mari ne le sait peut-être pas
scruter le fin détail de l’exécution. qui a vécu dans les laboratoires lique ou sous forme de collages de d’une vie et de cent ans encore encore, mais on soupçonne qu’elle
De loin, on voit cet immense pendant de nombreuses années papier et de carton. La minutie et pour accomplir tout ce que je veux pourrait entreprendre bien d’au-
tableau aux mille couleurs qui se universitaires. « J’étais curieuse le détail de chaque millimètre sont faire. J’ai l’impression de venir au tres virages : elle semble renaître et
détache sur le mur blanc de son et j’avais soif de connaissance. d’une finesse chirurgicale. monde. Je veux aussi conjurer ma se réinventer à chaque œuvre
univers. C’est elle-même : impo- J’amenais mon fils Julien au labo, peur de la mort. Seuls mes enfants qu’elle réalise.
sante et mystérieuse. De près, on car il est né avant même que je L’an dernier, elle a publié chez et mes petits-enfants me récon-
découvre les centaines de compo- termine mon doctorat en pharma- Fides un premier roman intitulé cilient avec l’idée d’une fin pos- Cet été, Mari Mari participera aux
santes minuscules que contient la cologie. » Fragments de famille, une œuvre sible. » Malgré cette crainte et le Correspondances d’Eastman du
vaste mosaïque de cette personne très personnelle dans lequel elle temps qui passe trop vite, Mari 9 au 12 août prochain. Il faut aller à
Dossier d’Ici
originale. Oui, c’est bien Mari Mari : Persévérante, elle poursuit ses décrit un univers familial étouffant Mari se sent plus sereine et plus sa rencontre, pour être touché par
une femme comme une vaste études supérieures sans interrup- dans le contexte montréalais de la solide que jamais. Son virage créa- la sincérité et par la profondeur
fresque et une infinité de détails. tion, et complète deux stages Révolution tranquille. Mari Mari vit tif est une véritable prise de pou- de cette artiste. Voici une belle
Un discours foisonnant, des idées postdoctoraux aux unités de un réel bouillonnement de créati- voir. « Je suis parfois impulsive, occasion de lire l’imaginaire d’un
précises comme découpées avec recherche en endocrinologie molé- vité. C’est avec humour qu’elle mais je suis très résiliente. Je suis peintre. Et ensuite ? De mettre des
le ciseau de la sculpteure. Derrière culaire et en santé mentale à avoue que si elle le pouvait, elle devenue plus conciliante avec moi mots sur sa peinture, comme créa-
tout cela : la rigueur scientifique l’université Laval. Elle amorce peindrait d’une main et écrirait de et avec les autres aussi. » tion, espace, longévité, liberté…
acquise et démontrée dans son ensuite une carrière fructueuse
passé. dans le développement des
affaires scientifiques au sein d’une
Bravant la dernière tempête de la compagnie pharmaceutique ba- Lecture d’Ici
saison, nous avons dû affronter la sée au Dane-mark. Objectivement,
glace et la démission hâtive des elle est devenue l’image même du
déneigeurs pour nous rencontrer. succès. Ultra performante dans ce
Mais Mari Mari reste calme, nous milieu, elle enchaine les confé-
offre un thé près de la fenêtre, au rences et voyages professionnels à
beau milieu de ses œuvres magis- travers le monde et épouse les
trales et de tonnes de livres. Elle, valeurs de l’industrie. Comme dans
elle n’a surtout pas peur d’affronter la chanson de Claude Dubois,
les éléments dans sa montagne ; elle a souvent le blues de la busi-
elle peut tailler les matières nobles nesswoman. Périodiquement, elle Architecture d’Ici
comme le marbre et l’albâtre pour remet en question son mode de
en faire naitre des oiseaux ou des vie trépidant. Suis-je vraiment
formes les plus harmonieuses qui moi-même ? Suis-je vraiment à ma
soient. Alors la neige qui fondra place ? Son instinct lui répond sou-
bientôt, Mari Mari en fait son affai- vent que non, mais elle se refuse à
re et sa poésie. Ses lectures don- l’écouter.
nent une idée de ses goûts éclec-
tiques et de sa profonde culture ; C’est lors d’un séjour à l’étranger
sur le dessus de la pile se trouve que sa nature créative réveille le
Le Monde en chiffres de Mitchell doute enfoui sous le succès : Jeunes d’Ici
Symonds, par curiosité, La Puis- aurait-elle déjà renoncé au bon-
sance de la joie de Frédéric Lenoir, heur ? Est-ce pour elle ou pour les
pour le plaisir et plusieurs ouvra- autres qu’elle fait cette carrière ?
ges scientifiques, par intérêt tout Elle réalise alors qu’à part sa famil-
simplement. le, rien ne la rend heureuse autant
que la création artistique.
L’itinéraire de Mari Mari est loin
d’être rectiligne. Enfant, elle est « L’esprit raisonne, l’âme résonne. »
timide, peu encline à l’étude et se Pendant l’entrevue, Mari Mari cite
sent souvent en marge du systè- spontanément cette phrase de
me d’éducation. Déjà, elle nourrit François Cheng qui exprime bien Voyages d’Ici
une réelle passion pour les arts et le dilemme intérieur qui l’habite
la littérature. Dès l’adolescence, alors. À qui ferais-je de la peine
elle suit des cours de peinture si j’étais moi-même ? S’est-elle
auprès du Frère Jérôme, ce grand demandé. À personne. Elle ouvre
artiste qui a marqué l’histoire de donc son âme en toute confiance
l’art contemporain du Québec. à son patron de l’époque et décide
C’est grâce à la peinture qu’elle fait de tout quitter pour créer son bon-
la découverte d’un art cru, récon- heur et vivre de son art. Deux
fortant et libre. Cette sensation de semaines plus tard, elle organise
liberté et de bonheur ne la quitte- son départ de la compagnie et Mode d’Ici
ra jamais tant qu’elle garde la amorce le grand virage décisif.
peinture et la sculpture dans sa vie. Selon elle, il s’agit de son acte le
A-t-elle alors pensé faire une car- plus audacieux, et qu’elle n’a
rière artistique ? « Oui et non, car à jamais regretté une seule seconde.
cet âge, j’avais besoin de sécurité, Bien sûr, elle a connu quelques
besoin de me définir. Je me mois d’errance : il n’est pas facile de
connaissais mal et je crois que je passer d’une existence extrême-
me serais alors égarée. L’art, c’était ment organisée à la liberté totale.
aller vers l’inconnu et je cherchais Alors Mari Mari se donne elle- Noël d’Ici
l’approbation de mon entourage, même un cadre. Elle suit de nom-
qui passait par une carrière plus breux ateliers de création littéraire
concrète. » Pendant cinq ans, elle et obtient un certificat en arts de
fait de la sculpture de façon quasi l’Université Bishop de Sherbrooke,
compulsive et suit des cours au en 2017. « Pour évacuer le senti-
Visual Arts Centre de Westmount. ment d’imposture qui accom-
pagne ma nouvelle vie : j’avais
Ce n’est qu’au cégep qu’elle a une besoin de ce nouveau papier. » Au
révélation : elle a de la facilité cours des cinq dernières années Aventure d’Ici
et en vérité, beaucoup de plaisir à seulement, elle a réalisé pas moins
643, rue Shefford, Bromont I 450 919 1357 I emarose.com

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juin • juillet 2018

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